Renforcer le capital humain des PME françaises et préserver le savoir-faire sur le territoire national

Entretien avec Thibault Cornudet, PDG et co-fondateur du Groupe Référence (à gauche) et Yonathan Elmalem, Directeur Associé chez Isatis Capital (à droite). Paris, le 14 mars 2024.

Yonathan Elmalem : Je suis responsable de l'équipe Expansion. Notre équipe investit des montants initiaux compris entre 3 et 7 millions d’euros au capital de PME françaises, avec une capacité de réinvestissement dans la durée. Nous nous intéressons principalement à des opérations de transmission de type OBO (owner buy-out) et MBO (management buy-out), ainsi qu’à des opérations de capital-développement. Nous ciblons des PME positionnées en B2B avec un EBITDA compris entre 1 et 3 millions d’euros. Le FCPR Isatis Flex Transmission 1, actuellement en levée, s'inscrit dans cette stratégie de transmission des PME françaises en mettant l’accent sur le capital humain de l’entreprise.

Thibault Cornudet : Nous accompagnons les PME et ETI dans leur développement en leur confiant nos Dirigeants experts en DSI, Marketing & Digital, DRH, DAF, conseil en transformation. Nos cadres interviennent en Temps Partagé Augmenté, un modèle innovant qui s’appuie sur la capitalisation du savoir-faire, l’intelligence collective et la formation continue. Nous disposons également d'un pôle conseil, qui s'appuie sur les expertises métiers du Groupe Référence, pour accompagner les entreprises dans la transformation de leur organisation. Il y a plus de 450 PME et ETI françaises qui nous font confiance et plus de 230 personnes embarquées. Dans le cadre du fonds Isatis Flex Transmission 1, notre rôle est d'accompagner les sociétés du portefeuille dans le renforcement de leur capital humain, en travaillant sur les compétences individuelles et collectives des équipes dirigeantes.

YE : En France, le vieillissement des dirigeants et leurs départs à la retraite posent un défi majeur. Aujourd’hui 25% des dirigeants de PME ont plus de 60 ans alors qu’ils étaient 15% en 2005. Cette tendance soulève une préoccupation croissante quant au financement et à la préparation de ces transmissions et transitions managériales. De plus, parmi ces entreprises confrontées à une problématique de transmission, celles détenant des savoir-faire technologiques, industriels ou de services, souvent localisées en région, sont exposées au risque de perte de ce savoir-faire ou au risque de prédation. C’est pour répondre à ce double enjeu que nous avons créé le fonds Isatis Flex Transmission 1. Il a vocation à permettre la reprise des entreprises par le management en place, en relais du dirigeant fondateur, assurant ainsi le maintien des savoir-faire spécifiques sur le territoire régional ou national.

YE : Dans les processus de MBO, nous avons remarqué que, nous autres investisseurs, avons un biais cognitif dans l’approche de ces opérations. Au lieu de concentrer notre attention sur l’équipe de management appelée à porter le projet d’entreprise, nos discussions et due diligence se font le plus souvent quasi-exclusivement avec le Dirigeant Fondateur. Ce biais résulte essentiellement de l’effet du processus concurrentiel d’enchères durant la phase d’acquisition. Ces équipes de management, qui vont être amenées à prendre le relais du Dirigeant, présentent comme dans toute organisation des forces/des faiblesses et ont souvent besoin d’accompagnement pour délivrer la feuille de route. Elles vont également devoir changer de posture au sein de l’entreprise. Afin d’adresser ce point majeur, nous nous sommes attelés à développer avec le Groupe Référence une méthodologie d’évaluation et de renforcement du management porteur du projet, à l’échelle de l’individu et du collectif, c’est-à-dire à la fois sur les aspects RH et Gouvernance. Ceci bien sûr dans une logique constructive, et résolue à faire grandir les équipes.

TC : Le capital humain est crucial pour toute entreprise, et sans une mobilisationefficace de ce capital, l'entrepriserisque de disparaître. Lorsque Isatisnous a sollicité sur ce sujet, nous avonsdéveloppé une approche novatriceen combinant nos compétencesen ressources humaines, et notreexpertise conseil en transformationet en organisation. Contrairement auxévaluations traditionnelles de type solution logicielle, test de personnalité, notre méthode anticipe les défis futurs et identifie les étapes nécessaires pour les surmonter. Nous évaluons également le style de leadership et de management afin de garantir la viabilité du projet. En mettant en place des actions concrètes, notre approche vise à assurer le succès du projet. Notre prisme va être très humain et organisationnel. Nous allons évaluer la gouvernance en place : y a-til un comité de direction ? Est-ce que l’ordre du jour est structuré ? Quel type de sujet traite-t-on ? etc. Puis nous évaluons les cadres clés : quel est le parcours du Directeur Financier ? A-t-il déjà vécu l’arrivée d’un fonds ? Est-ce qu’il a les compétences pour y arriver ? Une fois l’évaluation réalisée, nous mettons en place des plans d’action opérationnels pour leur permettre de monter en compétence. Cela passe notamment par du mentoring individuel et du coaching collectif.

YE : Nous avons un cas d'étude récent avec 3R Industries. Cette société basée à Montauban dispose d’un fort savoir-faire technologique : elle conçoit, fabrique et distribue des machines de tests de matériaux à destination de l’industrie et des laboratoires universitaires. Entièrement familiale, cette PME était confrontée à une problématique de transmission : le management en place avait besoin de faire entrer un fonds majoritaire pour assurer la reprise. Isatis a joué ce rôle et a fait appel au Groupe Référence pour appliquer la méthodologie que nous venons d’évoquer. La force du tiers conseil est énorme dans le processus. Cette approche a été extrêmement bien perçue par les cinq managers clés qui sont montés au capital, et nous estimons que nous avons gagné 6 à 12 mois de compréhension des enjeux internes et aspirations de chacun.

TC : Je pense que cela renvoie à une tendance importante, à savoir le partage de la valeur. De nos jours, les bons profils ont conscience que leur rémunération dépend davantage du capital et du succès de l'entreprise que de leur salaire fixe. Cette approche favorise la fidélisation et l'engagement des employés. Il y a 30 ans cela pouvait ne pas être nécessaire, mais je crois désormais que c'est indispensable.

YE : Nous avons à notre disposition une panoplie d’instruments financiers pour inciter fortement les cadres clés à la réussite de l’entreprise. Cela passe par des instruments de sweet equity tels que les obligations convertibles (OC), mais également les BSPCE, les ADP, les AGA, etc. Le FCPR Isatis Flex Transmission 1 n’a pas de règle prédéfinie quant à la part d’OC ou d’actions. Cela nous permet d’être flexible et de nous adapter sur mesure à chaque opération. Lors d’une opération récente, les cadres clés sont passés de 0 à 20% de détention capitalistique, avec une mise en fonds propres de départ très modérée. Ils pourront ainsi continuer à monter au capital lors des prochaines opérations de transmission.